Les remparts et le chateau

D’après un article paru dans les « Mémoires de la société d’archéologie lorraine » en 1870.

Placé, du XIe au XIIIe siècle, sous la dépendance des comtes de Toul, Charmes fut, en 1285, incorporé au duché de Lorraine, dont il partagea la bonne et surtout la mauvaise fortune.

Le duc de Bourgogne surprit et ravagea la ville en 1475. Elle fut restaurée et agrandie au XVIe siècle, et, en 1635, les Français et les Suédois la détruisirent presque entièrement par le pillage et l’incendie. La peste et la famine ajoutèrent leurs ravages aux horreurs de la guerre, et ses malheureux habitants, décimés par la contagion, minés par l’ennemi, furent, jusqu’à la fin du XVIIe siècle, réduits à la plus affreuse misère.

Longtemps siège d’une prévôté, la ville de Charmes devint chef-lieu de bailliage en 1751.

Représentation du chateau par des artistes locaux. Visible à la salle des fêtes.
Plans de la ville. Source archives départementales.
Plan JN DUBOIS. Archives départementales.

Le château

L’édifice le plus ancien et le plus considérable de la ville de Charmes était le château, bâti, vers le commencement du XIe siècle, par les comtes de Toul. Un plan sommaire, déposé aux archives du département des Vosges, en indique l’emplacement. Le château s’étendait sur l’espace occupé par le jardin et le bâtiment de Mlle de l’Espée.

Vue actuelle des remparts

Placé sur un tertre élevé, il dominait le cours de la Moselle et formait un vaste carré, flanqué, au midi, de deux grosses tours rondes. Une courtine, percée de rares meurtrières, formant plate-forme pour les défenseurs, en cas d’attaque, reliait ces deux tours. Une chapelle castrale occupait l’angle nord-est du carré. La porte d’entrée, extrêmement étroite, donnait sur la grande rue.

Autour du château régnait une large lice, munie de merlons et protégée, au midi et à l’est, par des escarpements très prononcés. Au bas de ces escarpements se trouvait le mur d’enceinte, joignant, d’un côté, le fossé de la ville, et baigné, de l’autre, par les eaux de la Moselle. Dans cette dernière partie du mur, était la poterne pour les sorties secrètes du château. Une partie du mur de soutènement de la lice existait dans le jardin de l’Espée, et montrait la solidité de ces constructions, composées d’assises réglées.

Le château de Charmes était une forteresse et non une résidence. Il servait à la garnison de la ville, et, bien qu’il renfermât une chapelle castrale, il ne parait pas avoir été habité par les comtes de Toul, et encore moins par les ducs de Lorraine. Pendant leur séjour à Charmes, les seigneurs descendaient dans « la grande mâson dite du Chaldron », dont Jean de Charmes fit ses reprises sous le duc René II. Les comptes annuels des receveurs, qui relatent, d’une manière scrupuleusement détaillée, les possessions du duc, ne mentionnent jamais un mobilier faisant supposer une habitation.

Jusqu’à l’époque du second pillage de Charmes, en 1635, le château et la chapelle furent maintenus en bon état d’entretien, aux frais du duc et souvent avec le concours de la ville. On lit dans les comptes du domaine, pour l’année 1553 : « 30 gros payés à Gérard Claudon Gillet, maçon d’Ubexy, pour, par lui avec un sien serviteur, avoir resparé et réadoubé les murailles du chasteau dudit Charmes, du costel de la rivière, lesquelles s’estoient rompues en divers lieux. Pour lesquels ouvrages parfaits et accomplis, les gouverneurs dudict Charmes ont fourni et donné gratuitement à Monseigneur la chaulx et le sable avec les manouvriers pour façonner, en rendant le tout en place, cy… 30 gros ».

Le même receveur, en 1593, « faict despence de 26 francs 6 gros qu ‘il a payés à un nommé Jean Frizon, masson, en marché faict avec lui, pour avoir rhabillé un angle de vingt pieds de hauteur, en la tour de la chapelle du chasteau de Charmes, qui menaçoit ruyne, réparé et crépy tout à neuf, en bas de ladicte tour du costé du midy, qui s’en alloit desmoly, et 30 gros à un nommé Mathias Saurel, pour avoir recommencé la toiture de ladite tour, qui estoit fort endommagée des grands vents et orages ».

Enfin, en 1605, les receveur et contrôleur « donnent avertissement à Messieurs de la Chambre des Comptes de Lorraine qu ‘il est nécessaire de sauver après maintes réfections, en plusieurs endroits, la tour de la chapelle castrale dudit Charmes, principalement en la couverture et du maronage d’icelle, qu ‘il faut par nécessité refaire tout à neuf d’aultant qu ‘il est tout pourri de vieillesse. Laquelle tour est sans crespy de deux côtés, et une neuve montée pour aller en ladite chapelle, d’aultant que celle qui y estoit a estée du tout ruynée par le temps des neiges dernières, lesquelles réfections se peuvent faire à peu de frais, pourquoi plaira à Messieurs iceulx ordonner ».

La chapelle fut desservie jusqu’en 1662, époque à laquelle les ornements furent pillés par les gens de guerre, à l’exception du calice d’argent, sauvé par le curé de Charmes.

Le château était confié à la garde d’un capitaine, ayant sous ses ordres la garnison de la ville, composée de la milice bourgeoise, des arbalétriers, devenus plus tard la compagnie des arquebusiers, et des troupes que les ducs, en certaines circonstances, plaçaient dans la ville.

En 1473, Gaspard de Raville commandait la place de Charmes. En 1475, la ville avait pour capitaine le Petit-Picard, qui fut pendu par les Bourguignons, près de la porte de la Croix, avec les quarante Gascons mis sous ses ordres. Après la victoire de Nancy, René II donna la garde du château au capitaine Jean de Charmes, en le dotant d’une pension de vingt-cinq francs, « pour ses bons et agréables services ». Le 11 mars 1527, Thomas des Armoises fut nommé capitaine de Charmes.

En 1635, le baron d’Anglure défendait Charmes à la tête d’un détachement du régiment de Saint-Balmont, et des bourgeois armés, sous les ordres du maire Didier Régal. En 1661, les fonctions de capitaine se confondirent avec celles de prévôt de l’office de Charmes.

Indépendamment du château, la ville était protégée par un mur d’enceinte, qui, jusqu’au règne de René II, avait pour limite, au nord-ouest, la rue des Tanneries et la ruelle des Olivettes. Pendant le XVIe siècle, la population s’accrut, des constructions s’élevèrent hors de l’enceinte du nord-ouest et l’ancienne clôture disparut pour former la rue du Pont, suivre la rue du Pâtis, et, remontant, dans la direction de la rue des Prés, rejoindre l’enceinte primitive, derrière la rue du Four. La ville se trouvait ainsi entourée d’un mur d’enceinte, protégé lui-même par un fossé continu.

Un étang, établi sous la colline du Haut-du-Mont (actuellement la peupleraie), permettait, en cas de siège, d’inonder les fossés, dont les eaux étaient maintenues par une double écluse. En parcourant les prés qui s’étendent entre la ville et cette colline, on reconnaît facilement les dispositions de cet étang, dont l’existence est affirmée par les comptes de la recette. En 1496, le receveur Henry Louis rapporte une dépense pour achat de poissons destinés à l’étang de Charmes. Dans le compte de 1513, figurent les frais de réparation de la chaussée de l’étang.

Par un acte d’acensement du 4 février 1738, il fut fait « abandon à Paul Martin, laboureur à Charmes, d’un jardin situé sur le ban de Charmes, lieudit à l’Ecluze, au-dessous de la chaussée de l’étang, contenant 5 Jours 5 verges, moyennant 5 francs 5 gros de cens annuel ».

La ville, ainsi fortifiée, avait quatre portes avec tours et ponts-levis. Ces tours servaient de logement aux guets des portes, elles renfermaient en outre un corps de garde ordinairement occupé par la milice bourgeoise.

La première, au midi, sur la route d’Epinal, portait le nom de porte Bazin. Vers le bas de la grande rue, en pénétrant, à gauche, dans une petite ruelle qui a conservé le nom de ruelle de la porte Bazin, on voit encore un pan de mur demi-circulaire qui appartenait à l’une des tours de cette porte. L’autre s’écroula en 1674 et effondra la maison d’un nommé Nicolas Rouyer.

Au nord-est, à l’extrémité de la rue du Pont (actuelle rue Marcel Goulette), se trouvait la porte de Moselle.

Au nord-ouest, vers le milieu de la rue des Capucins, et près de la rue des Prés, était la porte de la Chapelle, ainsi nommée à cause de l’ancienne chapelle du cimetière, placée dans le voisinage. Sous le règne de Léopold, la ville prit une extension nouvelle : les maisons bâties alors formèrent le prolongement de la rue des Capucins. C’est à cette époque qu’en vertu d’une délibération du conseil de ville, du 6 septembre 1707, cette porte fut démolie pour la commodité du public.

La quatrième porte, dite porte de la Croix, donnait accès à la ville, vers l’ouest, dans la direction du pré des Gascons (actuelle rue des frères Larbalétrier). Près de là, une croix commémorative remplaçait les arbres auxquels furent pendus, en 1475, les défenseurs de Charmes.

Entre l’Hôtel-de-Ville actuel et les premières maisons de la grande rue, était une grosse tour carrée, servant de porte à l’enceinte primitive. Le rez-de-chaussée, surmonté d’une voûte en maçonnerie, était occupé par de petites boutiques, et l’horloge de la ville était placée dans la partie supérieure. Cette tour fut démolie en 1755. La construction en était si considérable, que, pour en opérer la démolition, payée par la ville 995 fr. à Nicolas Gaudel, il fut stipulé, dans le procès-verbal d’adjudication, daté du 18 août, que l’entrepreneur emploierait quinze ouvriers, pendant cinq semaines, et que les décombres seraient conduits dans le chemin de la fontaine, hors de la porte Bazin.

Après le pillage de 1635, le château, le mur d’enceinte et les portes furent démantelés et en partie démolis. Peu à peu, ils tombèrent en ruines. En 1668, on ne désignait plus la forteresse que sous le nom de vieil chastel. Après le traité de Rysvick (1697), loin de songer à les rétablir, on ne chercha qu’à en tirer un profit quelconque pour les revenus du duc. Toutefois, pendant quelques années, on répara les portes, sinon comme défense, au moins comme clôture de la ville contre les malfaiteurs, pendant la nuit.

Le château, ses dépendances et les fossés furent convertis en jardins et acencés à divers particuliers, moyennant une faible redevance annuelle : « Florentin Martin et consorts cquirent, en 1666, 20 toises 6 pieds 4 pouces de terrain à prendre dans les fossés et barbacanes dudit lieu de Charmes, pour en jouir, par chacun d’eux, suivant T alignement de leurs maisons, moyennant un cens annuel et perpétuel de 6 gros par chacune toise, à proportion du terrain que chacun d’eux occupera».

« Noble François de l’Espée payait chacun an 3 francs de cens annuel pour le pendant du faux fossel devers la rivière, entre le bied du moulin d’une part et la muraille d’autre. Le même devait chacun an 9 gros pour une place contenant aemy jour au faux fossel, der- rière les maisons du faubourg, les hoirs de Nicolas des Armoises d’une part et les pointes des meix d’autre ».

Le rachat de ces différents cens, effectué sous l’empire d’une législation nouvelle, constitua, pour les anciens possesseurs, des titres définitifs de propriété.

Ainsi disparurent le mur d’enceinte et le château, qui avaient si mal protégé la ville pendant les mauvais jours. Sur une partie de ces ruines, s’élevait le bâtiment de la halle aux grains devenu aujourd’hui la salle de l’Espée.