Maurice BARRES

LE REGISTRE des actes de l’état civil de Charmes, aujourd’hui détruit, portait la mention suivante : « Le dix-neuf avril mil huit cent soixante-deux, à treize heures, est né, à Charmes (15, rue des Capucins), Auguste-Maurice de sexe masculin, de Joseph-Auguste Barrés, âgé de 33 ans, sans profession, et de Claire-Anne Luxer, âgée de 22 ans, sans profession, domiciliée à Charmes ». Certains biographes, le font naître, soit le 17 août, soit le 22 septembre. Il serait né à l’hôtel du Chaldron, sans doute parce que « La Maison des Loups », comme on l’appelle, avait été achetée par l’aïeul maternel de Maurice le 5 février 1835.

La famille déménage, ensuite, pour aller habiter au 22 de la même rue. Dans le jardin se trouvaient les vestiges d’un couvent de capucins fondé en 1627. C’est au premier étage, dans la chambre de Mme Barrés qu’il lut Walter Scott, Fenimore Cooper et L’Enfance des hommes célèbres. Là, il griffonnera ses devoirs d’écolier et ses premiers articles. Il fera de cette chambre son cabinet de travail.

Joseph-Auguste Barrés, son père, tel qu’on le voit sur les photographies d’époque, a la barbe et la moustache dures. Il portait lorgnon. Il fut un certain temps receveur municipal à Charmes. Grave, méditatif, sombre, il ne se départait de sa taciturnité que devant les spectacles de la nature ou à la lecture des psaumes du Bréviaire romain. Il était le fils d’un chef de bataillon de la Garde impériale, Jean- Baptiste Barrés, né à Blesle, en Auvergne.

Anne-Claire, sa mère, était la fille de Charles Luxer qui fut maire de Charmes. Les Luxer se trouvaient établis à Nancy dès la fin du XVIIe siècle et venaient du Palatinat. Elle était très sociable, élégante, mondaine, très jolie, demeurée rêveuse, mais toujours mesurée dans ses actes, comme dans ses paroles. Toute sa vie, Maurice lui vouera un véritable culte ; sa disparition, le 30 juillet 1901, lui causera une blessure qui ne guérira jamais.

Ce fut bientôt, pour lui, le temps des écoles. Celle de Charmes, d’abord, puis celle de La Malgrange, à dix ans, où il ne se plut pas, ses professeurs le troublant dans ses rêveries, ses lectures et ne comprenant pas cette susceptibilité aiguë, cet amour de la solitude, cette réserve, qu’on prendra pour de l’orgueil, ce repli sur soi d’un « René » s’analysant jusqu’au vertige. Quatre ans plus tard, il entra au Lycée de Nancy, où il se fit deux amis : Stanislas de Guaita, poète et occultiste, et Clochette qui mourra en servant Ménélick contre les Italiens. Selon son professeur de rhétorique. Il était un bon élève. Il dispose, alors d’une petite chambre, rue de la Ravinelle, où il écrivit ses premiers articles sérieux qu’il envoyait au Journal de la Meurthe et des Vosges et à la revue La Jeune France, dans laquelle son nom voisinait avec ceux de Sully Prudhomme, François Coppée, Rodenbach. Ses premières relations littéraires naissent alors avec Leconte de Lisle et Anatole France. En 1883, il est un peu Rastignac et « monte » à Paris, à la conquête de la capitale. Il habitera successivement : boulevard Saint-Michel puis boulevard Maillot. Il édite et dirige seul en 1884 la revue Les Taches d’encre qui n’aura que quatre numéros.

Une carrière fulgurante commence. En 1888 paraît, estampillée de L’Homme qui bêche, chez l’éditeur Adolphe Lemerre : Sous l’œil des Barbares, en même temps que débute au Figaro, et dans la Revue indépendante, sa vie politique. Il soutiendra le général Boulanger qui avait sollicité sa collaboration et, en 1889, prendra la direction du journal nancéien boulangiste : Le Courrier de Meurthe-et-Moselle. Le voilà le pied à l’étrier ! Désormais il va caracoler, à partir du boulangisme, qui échouera sur la tombe de Mme de Bonnemain, à Ixelles, dans un nationalisme étroit et un individualisme nietzschéen. Son égotisme, son culte du Moi, séduiront bon nombre de jeunes qui l’appelleront « Le Prince de la jeunesse ». Ses prises de position le conduiront à un antidreyfusisme convaincu et à un militarisme revanchard, derrière le tonitruant et ridicule clairon de Déroulède. Cela s’accompagnera d’un antisémitisme aussi délirant que celui d’Edouard Drumont, auteur de La France juive. Sa position dans l’Affaire Dreyfus est insoutenable, il l’a reconnu, en écrivant plus tard qu’il avait «… reçu là, une grande leçon » l’invitant à modérer ses passions.

Heureusement, nous avons d’autres raisons d’aimer Barrés. Sa carrière littéraire fait de lui très vite un homme célèbre à travers laquelle on perçoit la recherche d’un équilibre intérieur. Nous retenons de ses œuvres : Un Homme libre (1886), L’Appel du soldat (1900), Les Amitiés françaises (1903), La Colline inspirée (1913).

Barrés mène de front ses activités littéraires et celles à la Chambre, où il représente Paris. A 52 ans, quand la guerre éclate, il se met au service de la nation, soutenant, dans L’Echo de Paris, le moral du front et celui de l’arrière. Le coude à coude des Français devant la catastrophe l’amène à comprendre la nécessité de rapprocher les diverses familles spirituelles de la France.

En 1891, il épouse Paule Couche qui lui donnera un fils : Philippe. En 1906, il entre sous la coupole, succédant au poète José-Maria de Hérédia.

Son œuvre la plus puissante est sans aucun doute La Colline inspirée ; quel grand livre ! Il s’agit du récit des aventures mystiques, et schismatiques, des frères Paillard : Léopold, Quirin et François, qui ont épuisé les « goyottes » des gens de la colline, au nom de leur Œuvre de la miséricorde, inspirée des écrits de l’illuminé Jacques Vintras. Pour cela, ils comparurent, en 1852, devant la justice. Ils disaient des messes noires et usaient d’hosties sanglantes. Sans doute André Maurois pensait-il juste en écrivant qu’il s’agissait, dans ce roman, de « … réconcilier, par le dialogue, l’Eglise et la Prairie, l’Esprit de la terre qui est le mysticisme païen avec la règle catholique ». Mais quoi, avant les Baillard, il y avait eu, au même endroit, Rosmertha et le dieu Wotan !

Oh ! Ou’il nous plairait à imaginer que c’est sur « L’Automne à Charmes avec Claude Gellée » que sa plume trébucha, parce que c’est dans ce livre Le Mystère en pleine lumière, avant que ne parussent les admirables Cahiers, que s’affirmèrent le mieux les inexprimables harmonies de son style et de sa pensée (œuvres posthumes).

C’est le 4 décembre 1923, à minuit, après un ultime combat, que Barres meurt à Neuilly. Vers 10 heures, soudain il s’est plaint d’une violente douleur au côté gauche, pâlit, s’étendit sur son lit et, au contraire de Goethe qui réclama plus de lumière, il demanda qu’on éteignît. Quand on ralluma il était mort. On le coucha dans sa petite chambre, en habit, gilet blanc, les mains jointes sur un crucifix. Une grande paix qui n’était pas de ce monde descendit sur son visage de proconsul. La célèbre mèche était devenue terriblement dérisoire. Il n’avait plus les traits tourmentés qu’on lui voyait depuis quelque temps, ni ce sourire ironique, cette grâce un peu hautaine qui faisaient son charme. Un grand Maître et un homme n’étaient plus.

Texte d’Henriette MELINE.